Cet écran est trop petit pour voir les photos
Libération avait ses locaux dans le 19e arrondissement. Au 27 puis au 32 rue de Lorraine, dans des bureaux délimités par des caissons de bois si facilement déplaçables qu’en un weekend j’avais agrandi le service photo de quelques mètres carrés pris sur la politique.
À cette époque on faisait tout à la photo: la tournée des agences en mobylette, l’éditing et les légendes, les archives, les piges, le labo et des reportages.
Avec le sens des formules, les rédacteurs en chef s’appelaient coordinateurs. Successivement Serge July, Jean-Louis Péninou, Jean-François Fogel et peut-être aussi Marc Kravetz dirigeaient l’édition. En fâcherie avec l’un deux, je ne venais plus que la nuit ranger les archives, le laissant découper lui-même les belins de l’AFP et l’Associated Press.
La guerre au Liban. Sur le film qui sort de la photogravure, il ne reste plus qu’un carré transparent en réserve pour la photo. Le simili est prêt à être collé. On garde quoi: la tête du curé ou la Winchester qu’il tient posée sur ses genoux.
Un jour de petite actualité, une dépêche reprenait les conclusions d’une étude de l’Aérospatiale déclarant que la Terre ressemblait plutôt à une patate. Les deux Amériques peintes sur la tubercule achetée chez l’épicier du coin firent la une, signée Satellite Libération avec un texte très humoristique de Dominique Frot.
L’agence Magnum couvre pour Libération l’intronisation de François Mitterrand. Je devais développer les pellicules d’Henri Cartier-Bresson. Émotions garanties dans le noir à enrouler les négatifs dans les rouleaux des cuves Jobo. Ce diable d’HCB n’avait pas fait une seule photo du nouveau président. La photo de l’accolade Mendès-Mitterrand sera signée AFP.
Zina m’appelle pour faire la reproduction du polaroïd du dirigeant du patronat allemand enlevé par la Fraction Armée Rouge, Hanns Martin Schleyer. Libération titre RFA-RAF: la guerre des monstres.
Un certain C. Ky (en fait Jean-Marcel Bouguereau) signe les papiers sur la Pologne. Des centaines de photos inédites prises par des photographes polonais anonymes ou clandestins sont publiées dans un beau supplément.
Été 81. Raymond Depardon est à New-York pour 5 semaines. Une photo par jour qu’à tour de rôle on va chercher au bureau parisien du Herald Tribune. Un boîte en carton et dedans une photo, un texte. Une pleine page est réservée. Mais ce n’est pas tous les jours sans douleur.
Après l’arrêt de 1981, le journal s’est déplacé rue Christiani dans le 18e arrondissement. Le service photo était à côté du secrétariat de rédaction. La copie passait à la fabrication par un gros tuyau qui communiquait avec le clavier.
Il y avait des clavistes et les NDLC, des monteurs, des photograveurs, des maquettistes, des secrétaires de rédaction, des rédacteurs, des administratifs. Il n’y avait ni ordinateurs ni téléphones portables. Serge July réparait lui-même sa machine à écrire. On fumait dans les bureaux. Certains titres se composaient au Letraset. Les photos paraissaient en noir et blanc.
Pendant mes reportages, où à mes moments perdus quand je traînais dans les couloirs, Pentax en bandoulière, j’ai gardé beaucoup de souvenirs. En voici quelques uns. Certaines personnes ne sont plus là aujourd’hui. Aucune n’est encore à Libération. Le hasard a fait que j’en ai photographié certains, d’autres pas. Mais avec tous j’ai partagé vingt ans de ma vie.
Christian Poulin (septembre 2023)
Un mot particulier pour Christian Caujolle un amoureux de la photo autant que des photographes. On s’entend tout de suite parfaitement. Et si je ne sais pas où il se trouve, je sais que j’ai toujours pu compter sur lui!
Toutes les photos ont été prises entre 1975 et 1982 © Christian Poulin