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Les deux géants

 

Il était une fois un petit village espagnol au bord de la mer, entouré de montagnes aux sommets desquelles veillaient deux géants. Pendant des siècles, le village vécut dans le silence ponctué seulement par le tintement des cloches de l’église, le son des fabiols, tamboris ou autres fiscorns les soirs de sardanes et les rouleaux qui s’échouaient sur les plages les jours de grand vent.

Nos deux géants dormaient, allongés sur le dos. Personne dans le village ne savait depuis quand ils étaient là et tous les considéraient comme les gardiens de leur tranquillité. Les pêcheurs partaient en mer sous leur protection. Ils abritaient les plantations d’oliviers des vents froids. Aussi la vie s’écoulait-elle paisible. Sous les muriers blancs, on buvait la sangria à la terrasse des cafés. Autour du paséo on vendait les anchois de Casa Pont et des tellines. Devant la boulangerie, sous les belombras on vendait tomates et courgettes, et à la belle saison de délicieuses figues de Barbarie.

Un jour, un homme franchit la montagne. Il était accompagné d’un animal que personne au village n’avait jamais vu. C’était un chien, le poil dur, tout en muscle et avec une queue qui fouettait l’air. De son énorme museau pendait une langue gigantesque. Une bave glaireuse tombait de ses babines.

Dès la première rencontre de l’homme avec les gens du village, le chien se mit à aboyer. Les villageois prirent peur et s’en allèrent en courant. Le chien avait aboyé si fort que l’un des deux géants entrouvrit un œil et dressa l’oreille. Voyant la taille ridicule de l’animal il se rendormit aussitôt.

Au fil des ans, de plus en plus de personnes franchirent la montagne. Le petit chemin tracé dans la garrigue fit place à une route et ainsi il vint dans le village des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de chiens, qui pour un rien, tour à tour aboyaient.

Les plus anciens habitants n’en pouvaient plus d’avoir leur sieste perturbée. Les pêcheurs qui dormaient l’après-midi étaient sans cesse réveillés. Les chiens se répandaient dans le village salissaient les ruelles, effrayaient les enfants, courraient dans les plantations d’olives et de légumes menaçant les agriculteurs et de nombreux jardins étaient à l’abandon.

Mais un matin, les deux géants furent sortis de leur sommeil par un concert d’aboiements plus fort que jamais comme si chaque chien voulait couvrir le bruit de l’autre. Nos deux géants se concertèrent et convinrent qu’il fallait faire quelque chose. Toute la nuit ils inventèrent toutes sortes de solutions.

À bout d’idées, le plus grand des géants émis une suggestion emportant l’avis de l’autre géant.

Le lendemain fut un jour terrible qui marqua à jamais le village. À midi, les deux géants se levèrent. À eux deux ils surplombèrent le village qui fut plongé dans l’obscurité. Les chiens apeurés hurlèrent à la mort avant d’être engloutis et dévorés par nos deux géants. À la tombée de la nuit plus aucun glapissement ne troublait le village. Terrifié à l’idée qu’ils pourraient subir le même sort que leurs chiens, maîtres et maîtresses fuirent le village.

Au petit matin, il ne restait plus que les premiers habitants et les deux géants avaient déjà repris leur place au sommet de la montagne non sans avoir détruit la route pour ne plus être dérangé.

Depuis ce jour, plus personne n’a osé franchir la montagne. Quant aux habitants, ils ont repris leur paisible vie dans le silence toujours ponctué par le son des cloches et le ressac de la mer. Ils ont ajouté un jour de fête au calendrier local: La noche sangrienta de los perros.

Cadaqués - 2021

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