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Lariboisière 

 

Amené aux urgences de l’hôpital Lariboisière en ce mois d’octobre encore chaud à Paris comme un été indien pour une rétention urinaire, j’ai patienté dans les couloirs avant qu’on me trouve une place à l’UHU (l’unité d’hospitalisation des urgences), ce que j’appelle la rotonde car tous les lits y sont placés en arc de cercle, comme dans les dépôts de locomotives.

 

01h00. D’abord un cri qui va crescendo. «J’ai tout renversé. Au secours. Je peux pas dormir. Je vais devenir fou. La fin de vie. La fin de vie. Éteignez la lumière. A boire. A boire. À moi. À moi, madame»

 

03h30 Le vieux monsieur est perdu. L’infirmière essaie de lui faire regagner sa chambre mais il entre dans celle de la vieille dame et ferme la porte. L’infirmière le prend affectueusement et lui indique son lit. Il ère, revient et entre à nouveau chez la vieille dame s’étonnant qu’on l’aie mise là. Se prendrait-il pour le médecin? L’infirmière hausse doucement le ton. J’entends encore le vieil homme perdu dans un couloir, grommelant, la main dans le dos qui tente de tenir sa blouse fermée et de conserver ainsi un peu de dignité.

 

04h00. «Et merde. Putain. Connard.»

Masquée par le rideau orange qui sépare les box, une dame, voix grave, éraillée, égraine à qui? Un chapelet d’injures. Puis doucement elle appelle l’infirmière. «Madame. Madame.» Pas de réponse. «Ça fait chier toute la journée ici. Allez, tas de merde. Espèce d’ordure».

Elle poursuit sans fin une conversation avec un interlocuteur invisible que seule son imagination peut voir. Elle n’aura pas la nuit entière, arrêté d’insulter la terre entière. Et maintenant elle répète qu’elle veut porter plainte.

 

05h20. Agitation. La relève sans doute. Plaisanteries entre infirmières et infirmiers. Un patient assourdit le service d’une rafale de petits râles très aigus mais sans colère. L’impuissance devant la douleur. Subir et attendre que médicament fasse effet.

 

07h00. «Madame Durand. Madame Durand, ouvrez les yeux. Madame Durand. Madame Durand vous m’entendez. Madame Durand. Madame Durand tenez moi la main...»

Finalement Madame Durand s’est réveillée.

 

08h30. Deux infirmiers entre eux. Je ne les voit pas. Avec les rideaux tirés du box, mon champ de vision est très réduit. Il faut deviner d’où viennent les bruits, les cris, les discussions. «Insultes, crachats, ils n’en veulent pas en médecine» dit l’un. «J’ai mis le garde à vue au 2. Le 5 est parti...» poursuit l’autre. Le reste de la conversation se perd dans les couloirs et la nuit. Le calme pour quelques minutes.

 

09h00. Ce doit être un médecin qui est au téléphone. Je n’entends que ses réponses.

- …

- «Non, madame il n’est pas mort»

- …

- «Y-a pas de quoi»

 

10h20. «Que faites-vous madame. Non, vous ne pouvez pas partir. Madame. On va être obligé de vous attacher. J’ai eu votre fils au téléphone. Oui, il va s’occuper de votre chat. Vous allez avoir une jolie chambre. On va bien vous soigner. Vous ne voudriez pas que votre chat vous trouve malade.»

 

17h00. On m’a enlevé la sonde urinaire. Mais ça bloque encore. On doit m’en remettre une autre. Le médecin est à droite du lit. L’interne à gauche. J’ai mal, très mal. Le médecin: «Vous pouvez lui broyer la main, il est là pour ça». Je n’hésite pas.

Paris, octobre 2013.

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