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La fièvre

 

La fièvre 

 

Notre maison avait un étage. Un escalier, flanqué d’un étrange placard qui épousait l’envers des marches se situait face à l’entrée et menait à ma chambre. En haut, l’étage comportait cinq pièces.

À gauche, il y avait une chambre où personne ne dormait. Elle servait à faire mes devoirs. Un ancien cabinet de toilettes renfermait mes jouets; une terrasse servait de terrain de jeux aux combats de soldats ou aux courses de voitures. J’y revois ma mère repassant le linge simplement vêtue d’une combinaison.

En face la chambre des parents dans laquelle nous n’avions pas le droit d’aller, mon frère et moi. La pièce était vaste et peu meublée. J’y ai vu ma mère pour la dernière fois. Dressée sur son lit, figée dans la maladie, hurlant de douleur, les doigts crispés qui tentaient d’accrocher je ne sais quel remède. Quelques jours plus tard, un ami de mon père viendra à la maison nous annoncer, à mon frère et à moi, que nous n’irions pas à l’école.

A droite, la salle de bain. Un luxe comparé aux bains-douches municipaux où nous allions quand nous n’habitions pas encore rue de la Gare. La vapeur nous enveloppait dès le seuil. Les murs et le sol carrelés, mosaïque d’éclats multicolores suintaient à grosses gouttes. Ma mère achetait des shampoing Dop, berlingots aux couleurs acidulées. Nous passions à tour de rôle dans la baignoire puis elle y restait seule. Quand nous avons eu notre propre salle de bain, j’y ai surpris son visage couvert de cire jaune et brûlante qu’elle arrachait en grimaçant. Mais ce que j’aimais surtout, venant de cette pièce, c’était le ronronnement du rasoir électrique de mon père tôt le matin quand j’étais encore au lit. Ce bruit familier me rassurait comme une caresse.

Au bout du couloir, les WC dans lesquels, un soir d’été, un essaim de fourmis volantes avait trouvé refuge. Ai-je eu peur? Je ne sais plus. De la lucarne, je regardais les chats qui se battaient sauvagement sur le mur qui séparait notre jardin de celui du charcutier, Monsieur Robineau, chez qui nous n’allions jamais faire les commissions. Je n’ai jamais su pourquoi.

Et ma chambre, enfin notre chambre. Deux lits. Celui de mon frère près de la fenêtre et du placard qu’il ne manquait pas chaque soir d’inspecter à la recherche de Nestor, le serviteur du capitaine Haddock, le méchant dans le Crabe aux pinces d’or. Chacun de nos lits était recouvert d’une couverture en laine tissé avec de vilaines rayures maronnasses.

Une maladie que l’on nommait dans la famille «crise d’acétone» me clouait au lit depuis quelques jours ou quelques semaines, je n’avais plus la notion du temps. Je n’ai jamais vérifié auprès de mon médecin la véracité de ce diagnostique. J’avais la fièvre. Allongé toute la journée, je fixais les cavaliers qui tenaient le câble de télévision. J’en fixais un et je le voyais se déplacer toujours dans le même sens. Les autres cavaliers bougeaient-ils aussi? Un clignement de paupière le remettait à sa place puis il recommençait sa course.

J’y passais des heures. Autour, les formes dessinées sur le papier peint s’animaient aussi comme des nuages qui filent sous le vent. J’avais chaud, je tremblais.

Ma mère passait de temps en temps prendre ma température. Mes parents n’étaient pas comme ceux d’aujourd’hui à s’enquérir sans cesse de la santé de leurs enfants et à rester le soir assis au bord du lit à conter des histoires, à nous embrasser, à quitter la pièce sur la pointe des pieds, à laisser une veilleuse allumée. Je restais seul, dans le noir, persuadé que le cavalier bougeait sans pouvoir le dire à personne. Seul jusqu’au lendemain, attendant que vienne de la salle de bain, le bruit rassurant du rasoir électrique de mon père.

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